Le Code civil français ne s’attarde jamais sur la question des héritages invisibles qui circulent dans les familles. Pourtant, depuis plus de trente ans, la recherche clinique s’y penche avec sérieux. Troubles anxieux en boucle, scénarios qui se rejouent sans fin, symptômes physiques qui ne cèdent à rien : l’approche individuelle, parfois, atteint ses limites.
En France, certains professionnels observent que les blessures psychiques non résolues voyagent d’une génération à l’autre. Autrefois mises à l’écart, les approches transgénérationnelles trouvent désormais leur place dans les parcours de soin, à la frontière de la psychologie, de la psychanalyse et de la psychogénéalogie. Le cadre légal reste incertain, mais la demande explose.
Plan de l'article
Comprendre l’impact des traumatismes transgénérationnels sur nos vies
La circulation silencieuse des traumatismes familiaux a longtemps été ignorée. Pourtant, leur empreinte s’invite dans le quotidien, souvent à bas bruit. Les chercheurs s’interrogent sur la force de l’inconscient familial, ce réservoir d’histoires tues et de douleurs enfouies, où s’emmêlent les expériences de ceux qui nous ont précédés. Grâce au travail d’Anne Ancelin Schützenberger, figure majeure en France, la psychogénéalogie s’est imposée comme une discipline à part entière. L’arbre généalogique, loin d’être un simple organigramme, dévoile les liens ténus qui façonnent les destins.
Les traumatismes transmis d’une génération à l’autre naissent souvent de secrets, deuils, conflits étouffés. Leur impact se prolonge, modelant comportements et santé mentale, parfois de façon imperceptible. Exemple typique : une jeune femme arrive en consultation pour une angoisse permanente, et l’on découvre, au fil du récit, la trace d’un drame ancien resté dans l’ombre. C’est ce genre de répétitions et d’échos muets que l’analyse transgénérationnelle tente de débusquer.
L’intérêt pour ce champ grandit : thérapeutes et chercheurs se penchent sur ces transmissions, le sujet n’est plus relégué au second plan. Les outils sont multiples , cartographie de l’arbre, exploration des histoires familiales, décodage des non-dits , pour accompagner celles et ceux qui cherchent à comprendre d’où viennent leurs difficultés. Prendre en compte l’héritage psychique de ses ancêtres, c’est offrir un regard neuf sur sa propre souffrance, sans s’enfermer dans la fatalité.
Pourquoi les blessures familiales se transmettent-elles de génération en génération ?
Les secrets et les silences s’accrochent à la mémoire des familles, influençant parfois lourdement le parcours des descendants. Le système familial fonctionne comme une sorte de vase communicant : chaque membre hérite, souvent sans s’en apercevoir, d’émotions ou de loyautés implicites. Anne Ancelin Schützenberger l’a montré avec force détails : des scénarios identiques se répètent, génération après génération, sans que la racine du malaise soit identifiée.
Quand on tait les blessures, on laisse des zones d’ombre s’installer. Un deuil non verbalisé, une faillite passée sous silence, une violence occultée : ces épisodes s’inscrivent dans la trame familiale et laissent leur empreinte. Jung évoquait l’inconscient collectif, mais la dynamique familiale est plus intime, façonnée par les alliances, les exclusions, les tabous. Les travaux publiés chez Desclée de Brouwer mettent d’ailleurs en lumière la force des mythes familiaux dans la construction du soi.
Ces transmissions s’invitent dans le quotidien : choix professionnels, histoires sentimentales, symptômes physiques ou psychiques. Un patient expose une angoisse inexpliquée, et soudain, la mémoire familiale resurgit. Les cliniciens observent régulièrement que certaines souffrances prennent source chez un ancêtre oublié, dont l’histoire n’a jamais été racontée.
On peut distinguer plusieurs grands mécanismes à l’œuvre dans ces transmissions :
- Schémas répétitifs : quand des situations ou des comportements se rejouent à travers plusieurs générations.
- Poids des secrets : comment les non-dits influencent la santé psychique et le parcours des membres de la famille.
- Transmission inconsciente : circulation d’émotions ou de traumatismes, sans parole, d’un parent à l’autre.
Panorama des approches thérapeutiques transgénérationnelles en France
En France, la thérapie transgénérationnelle se décline aujourd’hui sous plusieurs formes, entre tradition et renouvellement. Beaucoup de praticiens s’appuient sur la psychogénéalogie, discipline popularisée par Anne Ancelin Schützenberger. Ici, il s’agit d’examiner l’arbre généalogique, de repérer répétitions, silences et traumatismes disséminés dans la lignée. Ce travail minutieux, mené avec un clinicien formé à l’analyse transgénérationnelle, met à jour des fils invisibles entre les épreuves du passé et la souffrance actuelle.
Les constellations familiales, venues d’Allemagne avant de s’implanter à Paris et dans d’autres villes, séduisent de plus en plus. Dans cette pratique, la famille du patient est représentée symboliquement dans l’espace : en se déplaçant, en occupant une place, chaque participant donne à voir les blocages et tente de remettre du mouvement dans l’histoire familiale.
Les outils utilisés varient selon les praticiens et les attentes : analyse des transmissions inconscientes, reconstitution de l’histoire familiale, travail sur le récit et le symbolique. Il convient néanmoins de rester vigilant : le succès de ces méthodes attire parfois des dérives, et associations de vigilance comme la Miviludes mettent en garde contre certains groupes à la frontière du sectaire.
Voici un aperçu des principales approches proposées en France :
- Psychogénéalogie : explorer l’arbre familial pour débusquer les fidélités invisibles.
- Constellations familiales : représentation spatiale du système familial pour désamorcer les blocages.
- Analyse transgénérationnelle : mise en lien entre histoire de vie et héritages psychiques.
Des pistes concrètes pour se libérer et favoriser la guérison familiale
S’ouvrir au soin transgénérationnel, c’est accepter d’explorer autrement le lien à sa famille et à son propre parcours. La psychogénéalogie propose une démarche structurée : reconstituer son arbre, y noter les drames, repérer les répétitions, tisser les liens entre les générations. Cet exercice, généralement accompagné par un psychologue spécialisé ou un groupe restreint, aide chacun à reprendre la parole, à sortir du silence et à se libérer de certains héritages pesants.
Les constellations familiales, quant à elles, permettent de mettre en scène les tensions et de les appréhender autrement. Cette pratique s’est installée durablement dans l’offre thérapeutique française : elle aide à reconnaître des places oubliées, à prendre du recul face à des charges émotionnelles transmises depuis longtemps.
Pour s’engager dans ce processus, voici des étapes concrètes à envisager :
- Dresser son arbre généalogique, en notant les dates, ruptures, exils ou événements marquants.
- Explorer, sans jugement, les secrets éventuels et les transmissions passées sous silence.
- Se faire accompagner par un praticien expérimenté en analyse transgénérationnelle pour avancer en confiance.
Le soin transgénérationnel n’a rien de magique. Il s’agit d’apprendre à se relier autrement à son histoire, de sortir des schémas figés, de construire une nouvelle alliance avec son passé. En France, l’offre se diversifie : associations, groupes de parole, consultations individuelles… chaque parcours s’adapte à la spécificité de chaque famille. Les bénéfices rapportés ? Moins de répétitions oppressantes, des conflits internes qui s’apaisent, une sensation de reprendre la main sur son propre destin.
À l’heure où tant de familles cherchent à comprendre ce qui se joue dans l’ombre, la démarche transgénérationnelle invite à regarder autrement son histoire, et peut-être, à ouvrir la voie à un nouvel équilibre.






































































